RETOUR SUR L’AFFAIRE SAINT GERMAIN
Il y a 2 ans, nous avions brièvement commenté l’arrêt de la CJUE du 26 mars 2020, dans l’affaire SAINT GERMAIN.
Dans cet arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a dit pour droit que le droit communautaire laisse aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d’une marque, déchue de ses droits à l’expiration du délai de 5 ans à compter de son enregistrement, pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée, conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.
Cet arrêt a été suivi par un arrêt de la Cour de cassation, en date du 4 novembre 2020, qui a confirmé cette solution et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’Appel de Paris pour qu’il soit statué sur le montant des dommages-intérêts auquel le titulaire de marque pouvait prétendre pour la période avant la déchéance de sa marque (pendant laquelle il n’en a pas fait un usage sérieux).
Or, par un arrêt en date du 25 mars 2022 (presque 2 ans après l’arrêt de la CJUE), la Cour d’Appel de Paris vient de répondre à cette question.
Rappelons qu’aux termes de l’article L.716-14 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) (devenu depuis l’article L.716-4-10), la victime de la contrefaçon a le droit de choisir entre 2 méthodes pour la fixation des dommages-intérêts :
- La méthode classique
La juridiction doit prendre en considération distinctement 3 éléments, à savoir :
– les conséquences économiques négatives de la contrefaçon (dont le manque à gagner et la perte subie),
– le préjudice moral,
– les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
- La méthode « forfaitaire » (qui ne s’applique que sur demande de la victime)
La juridiction alloue à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire, qui doit être supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte (étant précisé que cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral).
Or, en l’espèce le titulaire de la marque s’est prévalu de cette seconde option, soutenant à titre principal que les dommages-intérêts devaient être fixés à 900 K€ sur la base d’un taux de redevance de 5% et d’un chiffre d’affaires de 18 M€.
La Cour d’appel rejette cette demande en relevant que le titulaire de la marque ne peut prétendre, en raison de l’absence d’exploitation de sa marque, à une indemnisation correspondant au montant des redevances de licence ou de droits dus équivalente à celle d’un titulaire de marque exploitée, en raison de la faible valeur économique de sa marque et du peu d’investissements consentis notamment publicitaires pour faire connaître cette marque sur le marché.
Après avoir rappelé le principe selon lequel les dommages-intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire de la marque a réellement subi, la Cour relève également qu’appliquer le taux de 5% au chiffre d’affaires pour déterminer le montant des dommages-intérêts ne correspond pas à la réalité du préjudice subi, étant rappelé que la grande majorité des produits étaient destinés à l’exportation.
In fine, la Cour alloue la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts (pour une période de contrefaçon de deux ans).
En conclusion, si nous ne pouvons qu’adhérer à l’approche adoptée par le titulaire de la marque dans cette affaire (choix de l’option d’une indemnisation forfaitaire), il ne faut pas se faire trop d’illusion sur le quantum des dommages-intérêts qui seront alloués au titulaire d’une marque ayant subi une déchéance pour défaut d’usage sérieux agissant en contrefaçon au titre de la période antérieure au prononcé de la déchéance. En raison même du défaut d’usage sérieux ayant entraîné la déchéance, la valeur économique de la marque contrefaite est fortement compromise, ce qui aura forcément une incidence sur le préjudice.